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Camille Rabineau

Work & The City passe le bac : Bonheur & travail

Published 11 months ago • 6 min read

Le travail fait-il le bonheur ?

Un an avant la pandémie, une étude affirmait que 61% des salariés considèrent que le bonheur au travail est plus important que le salaire. Caricature ou non, la crise du Covid a renforcé l'aspiration à l'épanouissement par le travail. Chacun cherche son bonheur partout et cela passe par là. À l'heure où attirer les talents est une gageure, charge aux employeurs de redoubler d'efforts pour rendre leurs salariés sinon heureux, au moins épanouis, de 9h à 17h aussi. Et tout le monde a désormais compris que cela ne se limite pas aux paniers de fruits ou aux cours de yoga, même si ceux-ci peuvent jouer un rôle.

Mais sommes-nous sûrs que le travail peut rendre heureux ? Si l’argent ne fait pas le bonheur, le travail le peut-il, lui ? À la mi-temps d'une année qui a vu un mouvement social inédit affirmer l'importance de savoir dire stop au travail, arrêtons-nous quelques minutes sur le couple passionnel travail-bonheur, en espérant que cette newsletter inspirera quelques grands oraux de saison !

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Bonheur, bien-être : de quoi parle-t-on ?

Pour pouvoir définir le « bonheur » (happiness en anglais), il convient de le distinguer du « bien-être » (well-being). La notion de « bonheur » a un sens psychologique et affectif tandis que la question du « bien-être » est plus large. Là où le bonheur implique le seul état psychologique, le bien-être englobe la santé, la réussite, le cadre de vie, etc.

Dans leur conception de politiques RH, ce serait donc plutôt le bien-être des salariés que les entreprises doivent viser, avec la difficulté que les facteurs qui y contribuent sont nombreux : qualité des relations sociales, ergonomie du cadre et des outils de travail, charge de travail, etc. Seulement voilà, en voulant garantir le bien-être de leurs salariés, il arrive que certaines entreprises tombent à côté.

Des limites à la promotion du bonheur au travail

Les politiques de bien-être au travail ne parviennent pas toujours à atteindre le but recherché : la Harvard Business review a récemment passé en revue les études scientifiques qui le montrent. Parfois accueillies favorablement des collaborateurs, ailleurs, ces initiatives se révèlent contre-productives. C'est le cas quand des salariés refusent de participer à des événements comme des afterwork ou des cours de sport, qu'ils voient comme une tentative de contrôle de leur temps personnel infantilisante et artificielle. Or, le fait qu’ils ne participent pas à ces événements peut conduire à les stigmatiser. La culture du bien-être devient alors un quasi-culte et ceux qui la critiquent sont mis de côté.

À l’inverse, certains salariés adhèrent tellement à cette philosophie qu'ils se sur-investissent et ne déconnectent plus du travail. Les cours de pilates, les salles de sieste et les team building sont alors autant de moyens de continuer à travailler, même au moment des pauses.

Enfin, il peut exister une contradiction entre les objectifs affichés de bien-être au travail, et la réalité des pratiques managériales. L’aménagement d’espaces de travail multicolores ou l’affichage de valeurs en interne ne suffit pas hélas à contrebalancer un management contrôlant. Le « bonheur au travail » devient une injonction paradoxale et sa promotion peut démotiver les salariés.

Bonheur et performance : c'est plus compliqué

Un salarié heureux est un salarié efficace : ce discours qui semble intégré par tous a été porté par les neuro-sciences qui expliquent que les émotions telles la peur sont inhibitrices et freinent la créativité. C'est ce qui a fait les belles heures des Chief happiness officers, dont la plus connue, la belge Laurence Vanhée, affirme dans un livre que le bonheur au travail se chiffre en milliards d'euros de PIB.

Pourtant, d'autres études nous offrent une vision plus nuancée. Une recherche menée sur des supermarchés britanniques a ainsi montré que plus les salariés étaient malheureux plus les bénéfices étaient élevés. Le stakhanovisme a encore de beaux jours devant lui. (Merci de ne pas tirer de leçon managériale cynique de ce paragraphe !) Sans oublier que, quand le bonheur devient une injonction, il peut se révéler encore plus difficile à atteindre

Et si le sens au travail était le moyen d’accéder au bonheur ?

Les DRH ont bien compris le caractère fugace et instable du bonheur, qui en fait une valeur peu adéquate au monde du travail. Elles lui préfèrent petit à petit la notion de sens pour attirer et fidéliser les collaborateurs. Un changement qui ne doit rien au hasard : 9 personnes sur 10 seraient prêtes à renoncer à une part de leur salaire pour avoir un emploi véhiculant plus de sens.

Le jeu des 5 différences

D'après le psychologue Roy Baumeister et ses collègues, il existe 5 différences principales entre les notions de sens et de bonheur :

  • Une corrélation entre satisfaction des désirs et bonheur que l’on ne retrouve pas dans la notion de sens,
  • Un rapport différent à la temporalité : le bonheur a trait au présent là où le sens articule passé, présent et avenir,
  • Une relation différente à la vie sociale : si aider les autres donne un sens, c'est plutôt recevoir l’aide d’autrui qui participe au bonheur,
  • Un rapport différent aux challenges : le stress engendré par les défis peut limiter le bonheur, mais il est inhérent à une vie qui a du sens,
  • Enfin, une place différente accordée au sentiment d’identité : exprimer son "moi" serait source de sens, plus que de bonheur.

Au final, le concept de sens paraît plus réaliste et ouvert à l'adversité que celui de bonheur. Il détourne les individus de la satisfaction de leurs désirs en les poussant à aider autrui et à relever des défis, quand le bonheur ne fait que se dérober si l'on passe son temps à le chercher (souvenons-nous que, chez Schopenhauer, « bien-être n’est que pure négation : nous ressentons la douleur mais non l’absence de douleur »). Une bascule de la quête de bonheur vers la quête de sens au travail qui semble finalement le reflet d'une époque qui a perdu son innocence.

On a repéré aussi...

🧹 Hier je relayais sur Linkedin une étude sur l'impact du télétravail sur la répartition des charges domestiques dans trois pays européens (spoiler : il est nul). Un autre éclairage, venu d'Inde cette fois, confirme cette mauvaise nouvelle : quand l'entreprise Tata a demandé à ses salariés de revenir au bureau, un nombre élevé de femmes a démissionné. La DRH le dit elle-même : "Télétravailler pendant la pandémie a ré-arrangé les rôles à la maison, retenant les femmes loin du bureau. C'est un recul pour notre politique d'égalité."

🤐 Depuis le temps que je les collectionne...ces images de signes plus ou moins bricolés, à poser sur le bureau, pour indiquer aux collègues qu'on préfèrerait qu'ils gardent pour plus tard cette idée très pressante à partager avec nous ! Regarder comme celle-ci est belle, toute droit venue des bureaux de l'entreprise de logiciels MondayApp. Je suis sûre que cela en inspirera certains.

Du côté de Comme on travaille

🕹️ Les méthodes de travail collaboratives sont au coeur de notre ADN. On a adoré en parler au Parisien, et décrire le jeu "Workplace Game" que nous utilisons de différentes manières lors des projets de déménagement que nous accompagnons. Pour nous, toute la valeur de ces outils est de susciter la discussion constructive dans les équipes et de donner la parole aux salariés sur des sujets qui les concernent. L'article est réservé aux abonnés, mais si ce sujet vous intéresse, faites-nous signe !

🎬 On se lance dans la vidéo ! Le but ? Véhiculer sous une autre forme nos contenus écrits qui fonctionnent le mieux. La production est artisanale, c'est vrai, mais comme on dit, mieux vaut fait que parfait (ou pour une version plus vintage : le mieux est l'ennemi du bien !) On est très curieuses d'avoir vos retours, on attend vos messages !

À la prochaine, nous vous concoctons une version spéciale plage aux petits soins !

Camille Rabineau & l'équipe de Comme on travaille

Cette newsletter vous est préparée par Comme on Travaille, cabinet de conseil spécialistes des nouveaux modes & espaces de travail. Nous accompagnons les entreprises déterminées à faire de leurs projets d'aménagement des projets humains, en utilisant le co-design et les outils de l'intelligence collective. Si vous aimez nos analyses et souhaitez nous encourager, pensez à nous pour vos conférences, ateliers et accompagnements de projets liés aux nouveaux modes de travail dans votre organisation !
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Camille Rabineau - Comme on travaille - camille@commeontravaille.fr

Camille Rabineau

Camille Rabineau fondatrice de Comme on travaille

Urbaniste, experte des nouveaux espaces de travail, je partage dans ma newsletter Work & the City des perspectives sur l'évolution du bureau, des modes de travail et leurs impacts sur la ville.

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